Préface
Pendant plus de trente ans, j’ai écouté les orateurs locaux au cours des diverses manifestations de l’île comme le « Tere » tour de l’île traditionnel, les mariages ou les inaugurations. J’ai conservé la copie des thèmes écrit par tous les groupes de danses qui participent aux festivités du Heiva de l’île, depuis près de 20 ans. J’ai entendu les histoires des personnes rencontrées au cours de mes tours de l’île.
J’ai accueilli un conservateur du Bishop muséum d’Hawaï qui m’a permis de me procurer « Rurutuan culture », manuscrit inédit écrit par Alan Seabrook, ethnologue américain qui a passé quelques années à Rurutu au début du 20ème siècle, un document inestimable pour moi.
Le Président de l’église Mormone de Polynésie Française m’a permis de me procurer les microfilms déposés au Peabody muséum Essex de Salem, par Martin Brunor, autre américain qui a passé de nombreuses années à Rurutu depuis 1932.
J’ai rencontré une responsable du British muséum de Londres, qui prépare le prêt du « ti’i A’a » au musée de Tahiti en 2023. Elle m’a procuré des documents et des photos détenus par son musée.
J’ai accueilli à plusieurs reprises Pierre Vérin, archéologue français qui a organisé des fouilles à Rurutu au début des années 1960. J’ai aussi accueilli Robert Bolt, archéologue américain parrainé par Pierre Vérin quand il était Président de l’Université Française du Pacifique de Tahiti.
Je ne compte pas les chercheurs, toutes spécialités confondues, que j’ai accueilli dans ma pension. Curieux de nature, ils m’ont permis de connaître cette île sous tous ces aspects.
Un livre, « l’histoire ancienne de Rurutu », écrit par Bruno Saura, enseignant à l’université de Polynésie Française, vient d’être publié. Je ne me permettrais pas de remettre en cause son travail, très intéressant au demeurant. Je ne suis pas diplômé comme lui, juste passionné par l’histoire de cette île.
Mais le titre du livre « L’histoire ancienne de Rurutu », m’a interpelé. Il m’a rappelé un texte que j’avais lu dans « Mémoire de pierre, mémoire d’homme » publié en hommage à José Garanger, archéologue :
« Toi Européen, tu fais de notre passé ton métier, tu en vis alors que nous en mourrons, car c’est au nom de notre passé que l’on nous a condamnés à être chrétiens, cessant ainsi d’être nous-mêmes. De notre passé, nous ne savons plus rien, et le peu que nous en savons encore nous ne te le dirons pas. Tu étudies les pierres, mais nous sommes, nous, l’âme de ces pierres, nous sommes ce que tu ne peux comprendre. Rechercher ce passé pour qu’un Européen l’apprenne à nos enfants qui ne parlent plus Tahitien, nous ne le voulons pas, je préfère pour eux le mystère des explications des vieux qui n’existent plus. Ils sauront que les vieux ont su et garderont en eux la nostalgie de leur être, alors que si tu leur expliques le passé à ta façon qui n’est pas la nôtre, ils deviendront des Européens comme ceux d’Hawaii qui ne sont plus que des Américains à la peau brune, qui sont des Américains dont les Américains ne veulent pas. Si ce que tu nous dis est vrai, que tu t’intéresses aux Tahitiens et à leur passé, si tu veux vraiment protéger ce passé, alors rentre chez toi car ici, tu n’es qu’un voleur ». Mémoire de pierre, mémoire d’homme – Bertrand Gérard – 1974
Pierre Vérin disait à ses étudiants, « Je suis toujours étonné d’entendre répéter qu’en Polynésie Française, l’écrit a succédé à l’oral, comme si l’on avait tout simplement changé de support pour consigner les mêmes thèmes ». Les traditions orales ne peuvent qu’être interprétées.
La mythologie, c’est l’ensemble des croyances d’un peuple concernant ses origines, sa préhistoire, ses héros, ses dieux, etc… à ne pas confondre avec les récits véridiques qui sont inventés par la suite. Ambrose bierce, Ecrivain, journaliste 1842/1914
Le cinéma, la littérature, les bandes dessinées ou les jeux vidéo d’aujourd’hui, ont revisité les mythes fondateurs à l’origine de nombreuses cultures.
Le film Vaiana a réveillé l’imaginaire des Polynésiens.
Dans son livre “Le peuple de l’océan”, Emmanuel Desclèves écrit :
Même si les relations entre les îles de la Société et ces extrémités du triangle Polynésien étaient déjà plus ou moins interrompues depuis deux ou trois siècles avant l’arrivée des Européens à Tahiti, on ne peut en effet tenir pour crédible que le souvenir s’en soit perdu aussi vite, dans cette société où la mémorisation tenait lieu d’écriture, soutenue par des procédés mnémotechniques comme la versification, la répétition, la mise en formules et surtout le chant. Nous avons oublié l’importance de la mémoire et de la transmission orale dans les sociétés traditionnelles, y compris celles qui pratiquent l’écriture depuis des millénaires. De générations en générations, d’immenses récits étaient ainsi appris et transmis fidèlement. De nos jours encore, des sagas de plusieurs milliers de vers sont apprises par cœur en Inde. Les capacités de la mémoire – l’une des facultés les plus fondamentales de l’intelligence humaine – étaient développées à un point qui nous paraîtrait aujourd’hui simplement inimaginable, notre « mémoire » étant le plus souvent consignée sur papier et désormais sur ordinateur, ce qui nous exonère en contrepartie de bien des efforts intellectuels.
Je vais donc raconter, dans ce blog, de manière chronologique, pour mes enfants et tous ceux qui voudront les lire, les histoires que les « mata’ia po » de l’île racontent encore aujourd’hui, les histoires de Rurutu héritées de siècles de traditions orales.
Je ne parle malheureusement pas la langue, mais je rêve, comme l’a fait Mamie Pare en son temps, que de jeunes étudiants traduisent ces textes en langue locale, malgré les réticences de certains de leurs professeurs d’Université qui accusent ces langues régionales, comme le « Rurutu » ou le Riamatara, de ne pas être des langues « pures ».
Taaria TEINAORE, écrivaine Teivi PARAU, conteur
Pierre Vérin et Robert Bolt, archéologues
Tombe Alan SEABROOK, Tiarei, Tahiti
Julie Adams, “curator Océania” du British muséum et Yves au Manotel de Rurutu
Gisèle, Nahuma et Marama, conteurs de Rurutu